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Le recyclage de « devine qui vient diner ce soir? » de Giscard et autres tricks de la campagne Obama

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nicolas-Vanbremeersch

Qui ?
Nicolas Vanbremeersch, connu comme blogueur sous le nom de Versac, PDG de l’agence Spintank.

Quoi ?
Une tribune sur les enseignements numériques de la campagne d’Obama.

Comment ?
2008 avait forcé l’admiration, à la fois par le storytelling extrêmement articulé autour du changement et de l’espoir, et par la place du digital comme force d’organisation du militantisme. 2012 apparaît comme une nouvelle étape dans les leçons de communication et de marketing qu’Obama for America (OFA) peut donner à la terre entière. La campagne de marketing la plus chère de l’histoire (pas loin du milliard de dollars de budget), concentrée autour d’un objectif unique (conquérir 50,1% de parts de marché en un jour) en a encore à nous apprendre.

Forward, moins mobilisateur que change
Se faire réélire assurément, est moins fort que promettre le changement. De ce point de vue, les déceptions ont été nombreuses, dans le champ du narratif : là où l’Obama de 2008 avait réussi à mobiliser un esprit créatif puissant autour de la promesse qu’il incarnait, celle de 2012 a été plus mesurée, maîtrisée, inclusive. Foin de la mobilisation du réseau de talents créatifs, pas de contenu viral majeur ou d’empreinte visuelle qui marque l’histoire : on est resté dans un langage très maîtrisé de faits et chiffres. En dehors de quelques divertissements, l’essentiel du contenu marquant de la campagne a été produit par l’équipe elle-même, et, il faut le dire, a déçu par son manque de diversité et de  partages sociaux.

Reverticalisation
La campagne d’Obama, c’est celle de Facebook majoritaire, des dizaines de millions de fans et followers : rien à voir avec celle du challenger qui devait conquérir l’empathie. La solution trouvée fut un nouveau rapport à son followship : une présence verticale, faite de mythification et de descentes fréquentes du piédestal. Auprès du cercle élargi de ses 15 millions de soutiens, la promesse d’engagement principale a été celle de diner avec le président, et une star choisie pour mobiliser certains segments de la population (Jay-Z et Beyoncé ont bien tiré leur épingle du jeu). 25 diners-loteries, où le donateur de 3 ou 5$ pouvait prétendre rencontrer le président, ont été organisés (contre 3 pour la précédente campagne). A noter, c’est Giscard qui a inventé l’opération « devine qui vient diner ce soir », en ….1974.

C’est le signe de cette nouvelle posture des lovemarks : leur enjeu est de nourrir la vénération tout en restant proche. Obama est la lovemark ultime de l’ère digitale : 60 millions de likes et follows sur les réseaux sociaux, contre 59 millions de votes. Le nombre de followers n’est pas tout, leur activation est essentielle.

OFA a su les mobiliser avec trois leviers :
- de l’image, pour incarner la posture (le partage d’image par ses fans semble avoir dépassé les centaines de millions : c’est bien le premier média de cette campagne),
- de la donnée, pour contrer rumeurs et spéculations et valoriser le bilan (le graphiquerepris par le PS l’année dernière sur la thématique de la dette),
- et de l’événement, qui est toujours le meilleur moyen de provoquer des ruptures dans l’attention de son public, soumis à un débit continu de contenus.

Ouverture vs. professionnalisation
2008 avait prouvé l’augmentation du potentiel de la campagne par le numérique. En 2012, le numérique est devenu la colonne vertébrale.

La différence tient à l’état des troupes, et à leur usage. En 2008, la plateforme de réseau d’OFA visait la stimulation d’un militantisme de terrain, par des mécanismes sociaux. En 2012, elle s’est beaucoup plus concentrée sur la professionnalisation de ce militantisme. L’application reine de 2008 était le réseau social interne aux militants, où ils rapportaient et imaginaient leurs actions, pour favoriser l’émulation. Celle de 2012 est le dashboard, cet outil qui leur permet la mobilisation et l’enrichissement des données  dans leur porte à porte, avec leurs tablettes et leurs smartphones. L’objectif était moins de recruter et stimuler que de fournir au middle management de solides outils.

Data, jusqu’où ?
Le débat sur les données personnelles peut paraître ahurissant à un Français. 2008 avait notamment été gagnée grâce à la fabuleuse base de données comportementale (plus de 75 millions de profils avec jusqu’à 570 renseignements par personne) qui a nourri le marketing et le militantisme. En 2012, l’outil a été professionnalisé, transmis aux acteurs de terrain à travers leurs smartphones et tablettes. Mais émerge en même temps un discours critique sur ces données, de la part de leurs acteurs mêmes : Ethan Roeder, le monsieur données d’OFA, explique en effet que la donnée ne remplace pas le flair politique, et que les plus utiles de ces données étaient celles recueillies par les militants de terrain, plus qualitatives, plus activables que les renseignements froids des bases bancaires. On est entré dans une ère post-data dans cette campagne, où l’on interroge l’abus.

La campagne hybride
Il sera dur de déterminer scientifiquement si Obama a gagné grâce à cette machine de guerre marketing qui frôle l’absurde par son ampleur. Un machine qui a ses faiblesses, celles de l’hybridation entre la campagne du 20ème siècle et celle d’aujourd’hui : peut-on sérieusement penser que dépenser près de 600 millions de dollars en pub TV est un moyen efficace d’influer sur un choix quand on a autant de capacités de contact avec ses publics ? Le contraste entre l’hyper mesuré, millimétré, profilé, dashboardé du digital et la gabegie de negative ads, par pur souci d’occupation de terrain, dessine un avenir à la communication : celui où la culture numérique vient la transformer radicalement.

Nicolas Vanbremeersch


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